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Dossiers photographiques

Obey est un des noms les plus influents de la scène street art internationale mais aussi un artiste controversé. De son vrai nom, Shepard Fairey, il réside actuellement à Los Angeles.

A Paris

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"Rise Above Rebel", 2012, 93 rue Jeanne d'Arc, Paris 13e; © Michel Racine

Sa première réalisation parisienne s'inscrit dans le cadre du projet Street Art 13, initié par la galerie Itinerrance et le maire du 13e arrondissement. Dans Rise Above Rebel la femme représente tous ceux qui se relèvent et refusent l'opression, mais ethniquement évoque vaguement l'Europe de l'est.

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"Delicate balance", 2016, rue Jeanne d'Arc, Paris 13e; © Michel Racine

En 2015, à l'occasion de la COP 21, il réalise une sphère géante suspendue sous la Tour Eiffel. Le mural Delicate Balance reprend ce thème.
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Liberté, Egalité, Fraternité, 2016 (Hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015) © Michel Racine

Cette marianne est d'abord une affiche crée à la suite des attentats du 13 novembre 2015 et mise en ligne en soutien aux parisiens par l'artiste. Pour Obey l'art doit encourager la "paix, l'harmonie et la tolérance". De fait il réutilise dans cette affiche les codes et l'effigie féminine d'une autre affiche "Make Art, no War", de 2013. Le mural apparait lui en 2016 au 186 rue Nationale et s'inscrit dans le projet Street Art 13 dont Obey est un récidiviste. Pendant la campagne présidentielle de 2017, l'affiche était déjà dans le quartier général du candidat Emmanuel Macron et elle a été déplacée dans son bureau à l'Elysée après son élection (Le Parisien, 2017). Le fait qu'elle se soit trouvée bien en vue lors de plusieurs interviews présidentielles a contribué à la notoriété de cette marianne.

C'est sans doute l'œuvre d'Obey la plus connue en France et elle a continué à faire parler d'elle en 2020 lors de la campagne contre les violences policières menée par des street-artistes et nommée Marianne pleure
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The futur is unwritten, Knowledge + Action = Power, 2019, place Igor Stravinsky, Paris 4e; © Michel Racine

A coté du Chuuuttt... de Jef Aérosol (qui évoque les peintures surréalistes du musée d'en face), Shepard Fairey a placé en 2019 ses deux déesses grecques de la connaissance et de l'action; un peu incongrues en ces lieux quand même. Se référer à l'art grec face à un musée d'art moderne n'est pas forcément du meilleur goût et alors que Jef Aérosol avait tout fait pour intégrer sa fresque à la couleur des murs et ne pas concurencer la fontaine de Niki de Saint Phalle, Obey utilise un bleu qui ne s'accorde avec aucun des éléments déjà présents. Obey joue-t-il le décalage temporel ?

Un des commentaires les plus critiques sur cette installation est celui de Jef Aérosol lui-même et ce n'est certainement pas par jalousie... Jef Aérosol dénonce la totale non intégration du mural d'Obey dans son environnement et avait proposé comme cela se fait souvent lorsque des street artistes collaborent d'assurer une transition entre les deux fresques. Obey à fait la sourde oreille.

A Grenoble

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Rose Girl, 2019, 5 boulevard Maréchal Joffre, Grenoble; © Michel Racine

Situé sur le pignon aveugle d'une résidence étudiante et donnant sur une des avenues les plus fréquentées de Grenoble, ce mural est selon son auteur un appel à la paix et l'harmonie entre les humains et la Terre.

La rose est un des éléments fétiche de Shepard Fairey, présente sur de nombreux murals, mais ici c'est aussi le symbole de la ville de Grenoble.

Biographie

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Grenoble, 2019; André the Giant Has a Posse, d'après un poster de 1989; © CC by NC SA (Attribution: Michel Racine)

Diplômé de la Rhode Island School of Design en 1992, il se fait connaître grâce à une campagne d'autocollants et d'affiches placardés dans toute la ville de Providence alors qu'il est encore étudiant (André the Giant Has a Pose), inspirées par le catcheur français André Roussimoff.
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Saint Martin d'Hères, 2019, d'après une affiche sérigraphiée d'Obey de 1999; © CC by NC SA (Attribution: Michel Racine)
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Image tirée du film "1984" de Michael Anderson.

Dans ses premières productions Shepard Fairey qui est d'abord un propagandiste s'inspire de tout ce qui lui tombe sous la main; il se construit peu a peu un style, basé sur de nombreux emprunts, mais parce qu'il utilise ce qui est efficace. Un de ses mérites est la grande transparence de son site officiel où tout ce qu'il a produit depuis l'origine (au moins sous forme d'affiche) est consultable. Fairey s'est beaucoup inspiré de la propagande marxiste, soviérique et surtout chinoise. Fairey a décliné le slogan "Big Brother is watching you" (du roman de Georges Orwell) sous de multiples formes dont un portrait sérigraphié directement repris du film de Michael Anderson. Il reprend souvent ce poster et celui d'André Giant dans ses propres campagnes publicitaires (sous forme d'affichage sauvage) en accompagnement d'expositions ou de réalisations nouvelles.
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Aung San Suu Kyi photographiée par Steve Mc Curry, 1995
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2009, pour défendre Aung San Suu Kyi et les droits en Birmanie; crédit Sherpard Fairey

On lui a souvent reproché de ne pas créditer les dessinateurs ou les photographes dont il réutilisait les oeuvres, par exemple pour le Big Brother clairement copié du film 1984 de Michael Anderson ou les photographies dont sont tirés des portraits (présentés ci-dessous) comme ceux d'Obama (photographe Mannie Garcia) et d'Aung San Suu Kyi (ce dernier inspiré semble-t-il de Steve Mc Curry).
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Barack Obama photographié par Mannie Garcia en 2006; © AP / The New York Times
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Hope, 2008; affiche réalisée pour la campagne électorale de Barack Obama; crédit Sherpard Fairey

Dans les années 2000 il réalise de nombreux portraits d'icônes, dont il se sert pour soutenir diverses causes sociales ou politiques, comme l'affiche pour Barack Obama accompagnée par trois slogans: Hope, Vote, Change; ou comme celle à l'effigie d'Aung San Suu Kyi, lorsqu'elle est assignée à résidence par la junte birmane.
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CRS SS, 1968, affiche de l'atelier des beaux arts, Paris; Public Domain
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Disobey, 2000; © Obeygiant


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Political Power grows out of the Barrel of a Gun, 1968, Mao Tsé Toung; Public Domain
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Guns and Roses, 2006; © Obeygiant

Le thème de la rose au fusil apparait dans deux affiches de l'année 2006. La première est reprise de la propagande chinoise des années 60 (le fond de rayons solaire est lui aussi de la propagande chinoise). Le Dalai Lama a fustigé le slogan de Mao Tsé Toung soulignant les faits que le pouvoir issu du canon des fusils était éphémère et que la justice, la liberté et la démocratie finissaient par être imposées par les peuples.

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Chinese Soldiers, 1989, lors des événements de Tiananmen; © Edward Nachtrieb / Reuters
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Chinese Soldiers, 2006; © Obeygiant

Je ne sais pas dans quelle mesure Obey a crédité à l'époque Edward Nachtrieb, toujours est-il que depuis il se sont mis d'accord pour défendre des valeurs communes lors du 20e anniversaire des événements tragiques de Tiananmen ce qui s'est traduit par deux posters de Shepard Fairey reprennant des photographies du premier (Long Life the People).

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Colombe (Dove), 2012. Exposition "J'ai le droit d'avoir des droits", musée de l'Homme, Paris; CC by NC SA (Attribution: Michel Racine)

Quelles que soient les accusations de plagiat, son engagement est réel. Sa défense du pacifisme est constante. Symbole chrétien du Saint-Esprit, la Colombe est associée à l'idée de paix dans le monde occidental depuis le 20e siècle une association popularisée par le dessin qu'en fait Picasso en 1949. La Colombe est en médaillon sur le portait en soutien à Aung San Suu Kyi de 2009. Dans le mural de Santa Fe et l'affiche de 2013, la paix est associée à une femme d'inspiration art nouveau. Dans le mural de Grenoble de 2019, l'image de la femme est plus actuelle, mais toujours associée à la paix.

Comme déjà dit Fairey s'engage dans la politique américaine en 2008 en soutenant la candidature d'Obama. En 2017 il participe à la campagne de protestation contre la politique de Donald Trump (officiellement une campagne non partisane destinée à initier un dialogue national à propos de l'identité américaine pour son organisateur amplifier.org). Il réalise alors trois des six affiches intitulées We the People (ce titre est constitué des trois premiers mots de la constitution des Etats-Unis). Cette fois Sherpard Fairey a soigneument choisi ses sources, pour leur qualité photographique, mais aussi pour ce que symbolisent leurs auteurs (qui sont toutes des femmes): la femme musulmane est une photographie prise par Ridwan Adhami, elle même musulmane; la femme latino (Maribel Valdez Gonzalez) a été photographiée par Arlene Mejorado, de San Antonio, and la fille afro-américaine par Delphine Diallo, une photographe française et sénégalaise vivant à New York (cliquez sur les affiches pour voir les photographies source).
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2017, campagne sur l'identité américaine, crédit Sherpard Fairey / amplifier.org
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2017, campagne sur l'identité américaine, crédit Sherpard Fairey / amplifier.org
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2017, campagne sur l'identité américaine, crédit Sherpard Fairey / amplifier.org

La même organisation est à l'origine en 2019 d'un nouveau projet We the Future.

Le travail graphique de Sherpard Fairey est influencé par Andy Warhol: comme lui, il utilise des photographies traitées pour en réduire les tonalités (mais son usage de la couleur est très différent). Il s'inspire du pop art, auxquel il combine à l'infini une multitude de codes graphiques: des motifs purement décoratifs et complexes qui évoquent l'art nouveau des années 20, les rayons solaires repris de la propagande révolutionnaire chinoise des années 60 (et du drapeau tibétain!), la rose...

Comme Andy Warhol, il réexploite ses oeuvres dans de multiples versions. Ainsi une variante de la femme représentée dans "Rise Above Rebel" a été peinte à Dallas (Etats-Unis) et la "Marianne" de Liberté, Egalité, Fraternité figure sur une affiche pacifiste (et un mural) de 2013. Le fond tricolore était une pratique courante des usagers des réseaux sociaux après les attentats du 13 novembre 2015 en région parisienne, récupérée elle aussi par Obey.

Certains ont même écrit que Shepard Fairey ne savait pas dessiner, aucun des éléments présents dans ses oeuvres n'étant une création originale (Mark Vallen, 2007). Quoi qu'il en soit la combinaison de ces éléments possède une incontestable force de communication (ce qui explique le succès des affiches et pour les murals, une visibilité contradictoire avec leur intégration dans l'environnement). Pour Francesco Screti (Screti, 2017), l'apparence de subversion présente dans les œuvres d'Obey n'est rien d'autre que du marketing.

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2016, affiche; crédit Sherpard Fairey
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2015, affiche; crédit Sherpard Fairey
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2013, affiche; crédit Sherpard Fairey
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2013, mural, Santa Fe University; crédit Sherpard Fairey

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2021, affiche; crédit Sherpard Fairey. L'Action vaut plus que les mots, un titre anbigu.

En décembre 2020, la fresque de Fairey Liberté, Egalité, Fraternité, est taguée du slogan Marianne pleure, tandis que des larmes de sang sont ajoutées au visage. Cette intervention succède à l'appel d'un groupe d'artistes réunis sous le nom de Mouvement Concorde qui dénonce l'utilisation à tout va du mot République sur fond de violences policières, de détournement de la laïcité, de déni des inégalités. Cette intervention a suscité une réaction un peu ambivalente de Shepard Fairey, mais déjà moins négative que celle de Jérôme Coumet, le maire du 13e. La fresque à été "restaurée" le 14 février 2021 (quel empressement !), à l'initiative du dernier. Shepard Fairey a toutefois introduit une petite larme bleue (couleur de l'eau, plutôt que le rouge du sang...) dans la nouvelle version et produit une vidéo (une commande de la galerie Itinerrance ?) dans laquelle il déclare «Je suis du côté des gens qui s'opposent aux injustices, particulièrement quand il s'agit des droits de l'Homme (l'image de fond montre le Capitole de Washington envahi par les manifestants à l'appel de Donald Trump)». Respect pour les démocrates américains, mais la comparaison semble peu approriée, les rôles respectifs de la police et des manifestants étant inversés. Soit c'est hypocrite, soit Fairey n'a aucune idée de ce que signifient les mots Liberté, Egalité, Fraternité pour un.e français.e et encore moins pour ceux qui ont inscrit la devise au fronton des édifices publics (c'était pendant la commune de Paris). Quand l'action vaut plus que les mots parce que les mots ne valent plus rien, il faut peut-être s'inquiéter. Vous êtes bien ambigu, Mr Fairey.
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Money, par Monk HF, crédit Monk HF

La controverse est d'autant plus forte que Fairey gagne beaucoup: un exemplaire de la marianne de 2016, éditée à 450 exemplaires s'est vendu 3 380 USD en 2017 chez Artcurial. La même réalisée sur toile au pochoir et à l'aérosol en exemplaire unique s'est vendue plus de 200 000 euros en 2019 toujours chez chez Artcurial !
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2008, Affiche représentant Nicolas Sarkozy, crédit Greenpeace

Les œuvres de Fairey ont été elles-même détournées (un exemple avec le portrait de Nicolas Sarkozy par Greenpeace et des exemples plus nombreux ici). Le problème est que Sherpard Fairey a du mal à accepter le pastiche de ses œuvres alors qu'il pastiche abondamment celles des autres, parfois à la limite du plagiat.

En 2019 Shepard Fairey effectue une "rétrospective mondiale" : Grenoble, Paris, Londres, des villes canadiennes et américaines. A chaque fois exposition, grande(s) fresque(s) officielle, collages plus officieux (Voir ci-dessus pour les fresques grenobloise et parisienne).

Bibliographie

Site officiel.

Obey, sur le site de la galerie Itinerrance qui a organisé ses interventions parisiennes de 2016.

Une œuvre d'art urbain doit faire écho à son environnement. A propos de la fresque Chuuuttt ! et de celle installée par Shepard Fairey 7 ans plus tard.

HOPE, l'histoire secrète de l'affiche de Barack Obama, sur le site du Journal Le Figaro.

Aux origines de la Marianne que Macron adore, sur le site du Journal Le Parisien.

Obey Plagiarist, par Mark Vallen.

Francesco Screti. 2017. Counter-revolutionary art: OBEY and the manufacturing of dissent, Critical Discourse Studies 14(4):362-384. DOI:10.1080/17405904.2017.1284138

Marianne pleure, par Hiya.
Paul Ardenne. Larmes de sang sur la Marianne d'Obey : art ou vandalisme ?. France Culture.