Le plus reproduit de tous est sans contestation la toile d'Eugène Delacroix, datée de la fin de l'année 1830 et inspirée par les trois journées de soulèvement populaire contre le roi Charles X en juillet de la même année (le nom initial donné par Delacroix à la toile est 28 juillet).
Du point de vue artistique, l'oeuvre conserve certains canons de la tradition grecque: la poitrine offerte, le bras levé, le drapé de la robe. Le sujet central encore à demi déesse antique, mais déjà femme du peuple. En France tout particulièrement l'idée de liberté et de démocratie (la République en tant qu'institution) est représentée par une femme.
La composition triangulaire donne un dynamisme puissant qu'accentue la représentation des insurgés marchant vers le spectateur. Bourgeois en haut de forme, ouvriers en casquettes et même un élève de l'école Polytechnique en bicorne: tout le peuple est représenté. Le radeau de la Méduse de Théodore Géricault, dont la composition est elle aussi triangulaire, a très certainement joué un rôle dans la conception du tableau de Delacroix.
L'imagerie révolutionnaire a été débattue. Conservatisme et méfiance à l'égard des femmes sont à l'origine de la circulaire du 3 mars 1849 interdisant les emblèmes "séditieux" (sein nu et bonnet phrygien); une marianne sage tend à s'imposer (c'est la statue de la place de la république datant de 1883), puis la Marianne seins nus revient en grâce (statue de la place de la nation proposée lors d'un concours en même temps que la précédente, mais qui ne fut mise en place qu'en 1899).
La version de Goin (nommée Marianne au rouleau), est l'emblème de la Street Art Fest grenobloise; elle est présente depuis la première édition sur un portail proche de l'agence Spacejunk. Les états successifs de ce mural révèlent que l'événement que constitue par la Street Art Fest chaque année n'a pas été accepté sans difficulté par les graffeurs grenoblois.
Goin remplace le drapeau par un rouleau à peinture... tricolore bien sûr et le fusil par un pot.
Goin connaissait-il cette affiche de 1968 ? On doit beaucoup de choses à mai 68.
Le titre donné par Zësar Bahamonte est sans équivoque, alors que la fresque n'induit pas spontanément la mise en relation. J'ignore le symbolisme de la scie (Cliquez sur l'image pour d'autres exemples inspirés de Delacroix).
Le pouvoir émotionnel du tableau de Delacroix est tel qu'il a été repris bien au delà des frontières de l'hexagone.
Nikita Kravtsov est un peintre ukrainien installé à Paris, mars 2022.
La jeune Femme au drapeau, une photographie du reporter Jean-Pierre Rey prise le 13 mai 1968, représente une jeune femme, juchée sur les épaules de son ami, et brandissant le drapeau du Front national de libération du Sud Viêt Nam (la guerre y sévissait toujours à l'époque) a été rapidement mise en filiation avec le tableau et est devenue une des plus représentative des événements de 1968 à Paris: elle est publiée par de nombreux organes de presse (Life le 24 mai 1968, couverture de Paris Match pour le 20e aniversaire des événements, etc.).
Cette photographie a fortement desservi la jeune femme photographiée: d'après le journal Elle, Caroline de Bendern, 23 ans, mannequin à l'époque, se trouvait par hasard dans la manifestation et s'est retrouvée sur les épaules d'un ami qui lui a confié le drapeau vietnamien; elle a ensuite pris la pose par réflexe professionnel (cette "bonne" photo n'est pas vraiment due au hasard). A l'époque, ce n'était pas trop du goût des agences de mannequins, qui la condidérant comme une dangereuse gauchiste, auraient alors refusé de l'engager (Mai 68 n'a pas tout changé...). Caroline de Bendern perdra deux procès en cherchant à défendre son droit à l'image, le premier en 1978. Et lorsque la photographie parait dans la presse 20 ans plus tard, cette petite fille du comte de Bendern est immédiatement déshéritée.
Deux photographies représentant des manifestants montés sur la statue Le Triomphe de la République, place de la Nation à Paris, en hommage aux victimes des attentats de janvier 2015 (en particulier les dessinateurs de Charlie Hebdo) sont souvent présentées aussi comme évoquant le tableau de Delacroix. L'un des manifestants brandissait un crayon géant, ce qui a sans doute inspiré le dessin de Plantu La Liberté sera toujours la plus forte (Plantu, 2015).
Le lien entre cette autre affiche de l'Atelier des beaux arts n'évoque la Liberté de Delacroix que par la posture; certains y voient une affiche féministe. Le slogan a été repris par les street artistes et l'affiche elle-même détournée par l'introduction d'une bombe à peinture.
Et pour terminer:
Reférences
↑ La jeune femme au drapeau, photographie de Jean-Pierre Rey et l'article de Wikipedia à son sujet.
↑ Hélène Fresnel. 2008. Les Femmes de mai: Caroline de Bendern, égérie malgré elle. Elle, 21 avril.
↑ La Liberté sera toujours la plus forte par Plantu; dessin paru dans le journal Le Monde du 9 janvier 2015 (page Facebook de l'auteur) et Le Crayon guidant le peuple, article de Wikipedia.
↑ Hélène Fresnel. 2008. Les Femmes de mai: Caroline de Bendern, égérie malgré elle. Elle, 21 avril.
↑ La Liberté sera toujours la plus forte par Plantu; dessin paru dans le journal Le Monde du 9 janvier 2015 (page Facebook de l'auteur) et Le Crayon guidant le peuple, article de Wikipedia.
Bibliographie
Malika Bouabdellah Dorbani. La Liberté guidant le peuple: notice. Musée du Louvre.
Malika Bouabdellah Dorbani. La Liberté guidant le peuple: analyse du tableau.
Life numero 1000 du 24 mai 1968, p. 30-31. Sur Flickr.
Malika Bouabdellah Dorbani. La Liberté guidant le peuple: analyse du tableau.
Life numero 1000 du 24 mai 1968, p. 30-31. Sur Flickr.