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Ernest Pignon-Ernest (son prénom s'est trouvé ajouté à la suite de son nom pour éviter la confusion avec Edouard Pignon lors d'une exposition commune dans années 1970) est un artiste autodidacte qui apprend à dessiner dans le cabinet d'architecte où il travaille à partir de l'âge de 15 ans en 1957. A Nice il côtoie de nombreux artistes et poètes dont Yvette Ollier sa compagne, actrice et metteuse en scène de théâtre. Dès 1960 il réalise des décors de théâtre et commence à peindre, influencé par Picasso et Le Gréco.

L'installation sous l'impulsion du général de Gaulle, de 27 silos de missiles stratégiques (d'une portée de 3 000 km) porteurs de têtes nucléaires, sur le plateau d'Albion, près de l'atelier d'de Pignon-Ernest, dans un espace provencal qui pour lui symbolise la beauté, le révolte.
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Nagasaki, photomontage et photographie originale de Matsumoto Elichi © inconnu.

Recherchant un moyen d'action, il reproduit au pochoir des sihouettes fantomatiques inspirées par le "mur d'Hiroshima" sur les routes, les rochers et quelques murs du plateau d'Albion et des alentours. Il invente ainsi ce qu'on nommera plus tard une "installation" et fait descendre l'art dans la rue... sur des routes de campagne.

Le "mur d'Hiroshima" est un mur brûlé par l'explosion nucléaire. Une photographie réalisée (en réalité à Nagasaki) après l'explosion montre l'ombre d'une échelle et d'un humain sur un mur. On connait plusieurs de ces silhouettes humaines (dont une sur un escalier conservé au musée de la paix d'Hiroshima), seules traces des êtres vaporisées par les explosions de Nagasaki et d'Hiroshima.

Sur la photographie originale de Matsumoto Elichi la silhouette blanche de l'échelle n'existe pas (cliquez sur l'image), puisque l'échelle a été vaporisée dans l'explosion.

Aucune photographie n'ayant été réalisée à l'époque, il n'existe aucune trace de l'installation de Pignon-Ernest. Le site du plateau d'Albion sera démantelé après la chute du mur de Berlin.

Ernest Pignon Ernest abandonne très vite le pochoir pour la reproduction par sérigraphie de dessins au fusain: «Le pochoir m'a semblé vraiment binaire et trop pauvre graphiquement. Le dessin me permet des images plus riches, plus investies, d'y inscrire des références, des citations, des dialogues avec l'histoire».
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Montmarte, 1971; © CC by SA 4.0 (Crédit: Wikimedia, Auteur: Francis Gibert / galerie Lelong, Paris).

La construction de l'église du Sacré Choeur a toujours été considérée comme une insulte aux morts de la Commune de Paris.

En octobre 1971, pour le centenaire de cet événement historique, Ernest Pignon Ernest colle sur les marches conduisant au Sacré-Choeur d'immenses rouleaux (chutes de papier des rotatives du journal Le Monde) de reproductions sérigraphiées de communards.

La même sérigraphie est utilisée dans d'autres lieux tragiques, cadres de combats pour la liberté: la butte aux Cailles, les quais de Seine, le métro Charonne.

La photographie des marches du Sacré-Choeur par Francis Gibert n'avait pas été anticipée et est la première trace du travail de l'artiste. Par la suite Ernest Pignon-Ernest prendra soin de documenter son travail en conservant ses dessis préparatoires et en photographiant ses collages.

Pignon-Ernest est d'abord un extraordinaire dessinateur. Et pour apprécier pleinement ses dessins, il faut les voir dans un musée ou les installer chez soi tant les détails en sont pensés et retravaillés.

Mais l'artiste est décidé à sortir des musées. Les corps humains sont quasiment son sujet unique et travailler en taille réelle permet une réciprocité avec l'observateur. Si certains street-artistes choisissent soignement les lieux où ils interviennent, Ernest Pignon-Ernest est un des rares (avec JR) à aller plus loin en transformant le lieu d'action. L'œuvre, le lieu, le temps forment les trois éléments uniques et indissociables de la réalisation artistique.

Les descriptions d'interventions qui suivent ne donnent que quelques exemples d'un travail appliqué, mais foisonnant.

En 1974 il colle une centaine de sérigraphies représentant une famille africaine (noire) à Nice pour protester contre le jumelage avec Cape Town et dénoncer l'apartheid.

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1972; Exposition "Osez l'art urbain"; coll. Pierre Gevaux; © CC by NC SA.
En 1972 il réalise une première sérigraphie nommée "les accidents du travail".

En 1976, pour répondre à une commande de la Maison de la Culture de Grenoble, il rencontre des salariés d'entreprises locales et produit des affiches représentant "la dégradation de l'organisme dans certains postes de travail" et indirectement, la pollution. Je ne sais pas si cette intervention a réellement amélioré les relations de la Maison de la Culture avec les entreprises...

La sérigraphie de base (ci-dessous et à gauche) représente un homme dans une position de souffrance. Elle est complétée par des ajouts en sérigraphie ou au pochoir (pour l'horloge) pour produire les trois variations représentant respectivement "Le bruit", "L'Air" et "Les Cadences".
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"Les maladies insidieuses du travail", Grenoble, 1976; galerie Spacejunk; © Creative Commons by NC SA (Attribution: Michel Racine, pas d'utilisation commerciale).

En 1979, une exposition au musée d'art moderne de la ville de Paris explique pour la première fois sa démarche.

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Afrique du Sud, 2002; © Ernest Pignon-Ernest.
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Soweto, Afrique du Sud, 1976; Photographe: Sam Nizma. Adolescent mort dans une manifestation.

En 1980, à la suite de son intervention à Nice de 1974, il est sollicité par les Nations Unies pour réaliser une affiche anti-apartheid; en fait il monte en équipe avec une centaine d'artistes internationaux le projet "Against Apartheid".

Il reviendra en Afrique du sud en 2002 avec un collage inspiré de la photographie de Sam Nizma (1976) montrant un jeune manifestant noir d'afrique du sud agonisant dans les bras d'un de ses camarades. La photographie est peut-être moins connue que d'autres images iconiques (sauf des Sud Africains), mais elle fait partie des photographies qui ont fait l'histoire en déclenchant un mouvement internationnal de soutien au mouvement anti-apartheid d'Afrique du Sud.
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Park Street, Bristol, 2006, par Banksy; © CC by NC SA, Richard Cocks, Wikimedia.
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Certaldo, Italie, 1980; © Ernest Pigon-Ernest.

En 1980, invité à Certaldo, région de Florence et lieu de vie de Boccace, il colle des affiches d'hommes et de femmes animés par le désir et escaladant les murs; sans doute une de ses interventions les plus joyeuses.
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"Epidémie", Naples, 1990; © CC by SA 4.0 (Crédit: Wikimedia).

De 1989 à 1995, il réalise 4 collages successifs à Naples de centaines de sérigraphies inspirées de peintures "classiques", en particulier du Caravage. Ce sera sa plus grande installation et la plus impressionnante.

On peut d'ailleurs que faire un parallèle entre la tension qui se dégage de ses dessins, aux corps déformés comme par des crises d'épilepsie, et la peinture expressionniste du Caravage.
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Naples, collage, 1995: © Ernest Pignon-Ernest.
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"Medusa", par Le Caravage, 1958, domaine public; source: Wikimedia (l'original sur toile est de forme circulaire).

Discret, ce qui transparait de Pignon-Ernest, c'est l'immense plaisir qu'il prend dans ses réalisations et le bonheur de vivre qu'il exprime dans ses interviews, un grand contraste avec son œuvre emplie de morts et de corps torturés. Il n'aime pas le qualificatif de street-artiste et cela semble logique tant son travail est original. «J'essaie de faire de la rue une œuvre, alors que la plupart des gens du street-art font de la rue une galerie».

Ce que fait Ernest Pignon-Ernest, bien peu d'artistes ont le courage de le faire et encore moins nombreux sont ceux qui en sont capables. Respect.

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Affiches, bourse du travail de Grenoble, 1979, restauré en 2016; © Creative Commons by NC SA (Attribution: Michel Racine, pas d'utilisation commerciale).

Bibliographie

Ernest Pignon-Ernest. Site officiel.

Ernest Pignon-Ernest; cours d'Agnès Ghenassia.
Difficile d'être plus complet.

2010. Face Aux Murs. Ernest Pignon-Ernest. Delpire.

André Velter, Jean Rouault. 2006. Ernest Pignon Ernest. Editeurs Guy Bärtshi et Jean-Marc Salomon.
Un gros livre de près de 3kg, incontournable pour qui s'intéresse à l'artiste; on peut regretter la faiblesse des légendes accompagnant les innombrables photographies.