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Dossiers photographiques

De tous les monastères de l'Himalaya restés en activité continue depuis leur origine, Tabo est le plus ancien. Le monastère historique se compose de grottes (ermitages) aujourd'hui abandonnées et d'une enceinte sacrée (Chos Khor) contenant de petits chortens et plusieurs temples. A l'époque de sa fondation, le monastère occupait une situation stratégique sur les routes de la soie et communiquait, par la vallée de la Sutlej, avec le plateau tibétain (royaume de Guge).

L'incription de Tabo au patrimoine mondial de l'UNESCO (qui ne liste aucun monument du bouddhisme tantrique) pourrait aider à sa préservation (Tabo ne figure même pas sur la liste indicative fournie à l'UNESCO par le gouvernement indien, ce qui est totalement incompréhensible). Resté à l'écart de la révolution culturelle qui, entre 1959 et 1961 a détruit plus de 5000 monastères au Tibet, préservé par la sécheresse de l'air et l'absence de pluie, un ensemble iconographique unique est parvenu jusqu'à nous. La tendance récente à l'intensification de la mousson nécessiterait des travaux pour assurer la préservation des fresques.

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Le monastère de Tabo, vue arrière de l'enceinte sacrée prise depuis le nord-ouest
© Michel Racine

Lorsqu'on penètre dans l'enceinte sacrée, la vue de ces gros cubes d'argile sans fenêtre et aux dimensions somme toute modestes, ne laisse pas présager qu'il s'agit d'un monument d'exception, peut-être le plus beau monastère de tout l'Himalaya, le plus beau de tous les monastères.
Temple principal (Gtsug Lag Khang)
Pour les historiens du bouddhisme, ce temple est unique. Quelques fresques et statues évoquent des déités connues; d'autres sont différentes; le temple principal de Tabo partage avec une poignée d'autres monuments indiens la capacité à générer le sentiment d'un édifice étrange nous arrivant de la nuit des temps.

Des constructions ont été ajoutées au cours des siècles devant les entrées du temple principal et du temple Bron Ston situé à sa gauche. On pénètre ainsi dans une première salle dont les peintures datent du 19e ou du 20e siècle; face à l'entrée une petite salle contient des représentations de déités tantriques sous leur aspect terrifiant, c'est la salle des protecteurs. Les moines qui vous accompagneront lors de la visite ne vous y laisseront probablement pas pénétrer, mais vous apercevrez assez facilement de nombreux masques. D'après Klimmburg Salter, les fresques de la salle des protecteurs sont belles, très colorées et datent du 15e ou du 16e siècle.

L'entrée d'origine du temple principal est à angle droit sur la gauche, face à l'est. La petite salle sombre qui représente le vestibule d'entrée originel est la seule présentant la décoration initiale du temple lors de sa fondation en 996 (10e siècle). Les peintures sont en mauvais état. Sur son mur sud, le vestibule d'entrée contient les portraits du fondateur du temple Ye-shes-'od et de ses deux fils (Klimmburg Salter, 1998). Ye-shes-'od est un roi (de Guge) et grand lama ayant joué un rôle clé dans la renaissance du bouddhisme au Tibet aux 10e et 11e siècle ; il était vénéré, de son vivant, comme un boddhisattva. Au dessus de l'entrée, sur le mur ouest, est représentée Wi-nyu-min, la déesse protectride de Tabo et ses servantes. L'image même de cette déité pré-bouddhiste est effacée et on ne perçoit que son véhicule (vãhana), un cerf. Les statues présentes dans ce vestibule ne sont pas les statues d'origine, mais plus récentes.

La salle de prière, en bien meilleur état, est beaucoup plus impressionnante. Entièrement restaurée 46 ans après la fondation de Tabo dans un style kashmiri, elle n'est éclairée que par le toit. 32 statues de déités de taille humaine sont suspendues à mi-hauteur des parois. Entre les statues, des fresques de dimensions équivalentes et d'un raffinement exquis (mis à part ici et là quelques restaurations hasardeuses) représentent des Boddhisatvas et d'autres déités. Sous les statues, une profusion de dessins narratifs plus petits décrivent le pélerinage du roi Sudhana, illustrent le texte tibétain du Gandavyuhasutra et mettent en scène de la vie du Bouddha. Au plafond, des tissus peints sont tendus entre les poutres. Il s'agit d'un ensemble homogène planifié et réalisé au 11e siècle, probablement sur plusieurs saisons (Klimburg-Salter, 1998). Ce temple contient énormément d'inscriptions et même de textes entiers en tibétain identifiant les donateurs du temple, mais aussi la plupart des déités et personnages représentés.

Lorsqu'on s'assoie non loin des places occupées par les moines, les statues semblent surgir des murs plongés dans la pénombre et flotter dans l'espace: la magie du lieu s'impose aux perceptions et bouleverse l'esprit.

Grand temple de Brom Ston (Brom-ston Lha Khang Chen Po)
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Le Bouddha Shakyamuni; Brom Ston Lha Khang Chen Po; © Creative Commons by NC (Attribution: Michel Racine, pas d'utilisation commerciale)

Le Bouddha historique, Shakyamuni constitue la figure centrale. Huit Bouddhas de la médecine sont peints sur les murs nord et sud (quatre de chaque côté). Le plafond est remarquable.
Temple de Maitreya
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Statue du Bouddha Maitreya, dans le temple du même nom
© Michel Racine
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Temple de Maitreya; une représentation des Lokapalas est visible au dessus de la porte
© Michel Racine
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Temple de Maitreya; Lokapalas
Crédit WHAV
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Le Bouddha Shakyamuni, geste de l'argumentation; © Creative commons by NC (Attribution: Michel Racine, pas d'utilisation commerciale)

Ce temple pourrait être aussi ancien que le temple principal (Klimburg-Salter, 1998) ou dater du 14e siècle. La statue du Bouddha Maitreya, de 6m de hauteur, le représente dans ses attributs les plus classiques: assis à l'occidentale, les mains dans la posture (muddra) dhammachakka. La porte présente des sculptures très usées, ce qui parait normal pour des bois aussi anciens.

En 1983, une nouvelle salle de prière largement vitrée a été construite à l'extérieur de l'enceinte historique à l'occasion de la visite du Dalai Lama venu accomplir l'ouverture du rituel de la Kalachakra. Les moines de Tabo appartiennent aujourd'hui à l'école Gelug, mais le monastère a été occupé par des écoles diverses (Nyingma, Sakya) au cours de son histoire.

Il faut une autorisation spéciale pour photographier à l'intérieur du temple principal.

Bibliographie

whav.aussereurop.univie.ac.at/ic/788/ (université de Vienne).
Tout Tabo !
Les sculptures d'argile de Tabo (Christian Luczanits, université de Vienne).

archresearch.tugraz.at/results/Tabo/tabo.html
Des plans, une animation montrant la succession des constructions dans l'enceinte sacrée et des photographies. Par une autre université autrichienne (Graz).

Deborah E. Klimburg-Salter. 1998. Tabo, a Lamp for the Kingdom. Thames And Hudson.

Peter van Ham Les dieux oublies du Tibet - L'art bouddhiste medieval dans l'Himalaya occidental Editions Menges, Paris ISBN 2 8562 0389 2 Le site de Jaroslaw Poncar, l'auteur principal des photographies présentées sur le site de l'université de Vienne (cité plus haut) et dans le livre de Deborah Klimburg-Salter.
Le site d'Eva Lee contient le récit d'une visite de Tabo en 2013 et de nombreuses photographies.

En pratique

Bien que la frontière tibétaine (chinoise) soit fermée l'accès facile rend la zone très sensible. Un inner line permit est nécessaire pour parcourir la route de Kaza à Kalpa (ou l'inverse). Dès le début des années 90, l'interdiction de passer la nuit à Tabo ou Nako, inscrite sur l'inner line permit, n'était plus appliquée. Une autorisation spéciale est nécessaire pour photographier les fresques en particulier dans le temple principal (Gtsug Lag Khang).

La principale difficulté reste le parcours de la route elle même; construite dans des gorges totalement minérales, passant au pied de falaises dont l'équilibre des éléments empilés sur plusieurs centaines de mètres de hauteur constitue un défit permanent aux lois de l'équilibre, elle se trouve souvent impraticable pour des jours, des semaines, des mois ou des années.