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Dossiers photographiques


Les trop rares photographies présentées ici évoquent une sorte de pureté disparue, un monde quasi vierge de tout contact avec la société de consommation occidentale: tout terrain cultivable est cultivé, pas un bout de tôle ondulée, aucune de construction qui ne respecte le style local (lodges compris).

La vallée de la Marsyangdi n'a été ouverte aux trekking qu'en 1976, et beaucoup de visiteurs avaient recours à une agence et à son organisation (tentes, cuisinier, porteurs, etc.); en conséquence, les lodges étaient peu nombreux et les ressources alimentaires rares. Il m'a fallu attendre la Kali Gandaki et Muktinath pour trouver des oeufs; en attendant, on survivait avec du riz blanc agrémenté en altitude de sortes d'épinards (en réalité des feuilles de sarrasin) et de petits cailloux (en réalité de la viande séchée) qu'il faut longuement sucer pour ne pas se casser les dents. Le dhal est inexsistant et les chapatis paraissent bien secs. Dès Chamje j'ajouterai de la tsampa au petit déjeuner car il est difficile de tenir jusqu'au repas de 10 heures avec un seul verre de thé au lait. En contrepartie, un repas ne coûte que 10Rp (un peu moins d'1 $) et prendre le souper assure généralement l'hébergement pour la nuit sans supplément.

La vallée de la Kali Gandaki, fréquentée plus anciennement et itinéraire historique de pélerinage était moins pauvre en ressources.

J'ai parcouru l'itinéraire décrit grâce à un guide recruté à Kathmandu (Agence Mountain Travels, environ 40Rp par jour plus la prise en charge de ses repas) et en portant moi-même ma charge (préjugé égalitaire d'un trekkeur qui n'avait encore jamais mis les pieds au Népal). Ce choix d'une pratique en individuel (sans agence) en a fait une expérience dans tous les sens du terme: physique, humaine, culturelle, et l'un de mes plus beaux voyages.

Le trek démarre à Dumre, sur la route Kathmandu - Pokara et se termine à pied dans les bazars de Pokara.

L'itinéraire n'est plus réalisable tel quel aujourd'hui.
Le tour des Annapurnas en 1982
Le tour des Annapurnas en 1982
© Michel Racine

A noter que si l'on voit souvent la chaine des Annapurnas sur ce circuit, l'Annapurna 1, seul sommet de la chaine atteignant les 8000 m, n'est visible que depuis le panorama de Pun Hill (Ghorepani).

Carnet de route (été 1982)  

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Bansar, repiquage du riz; © Michel Racine

Pour se mettre dans l'ambiance, il faut franchir un gué pieds nus à peine quitté Dumre; la végétation est tropicale, il fait très chaud et on envierait presque les buffles qui paressent dans des mares d'eau boueuse; mais le spectacle compense toutes ces inconvénients: c'est le repiquage du riz et toute la population coopère dans les rizières inondées; scènes magnifiques.
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Vers Tarkughat: d'impressionnants Banians ombragent les chautara; © Michel Racine

A Turturi, au petit matin, l'Annapurna 3 se dévoile au dessus de la brume stagnant sur le fond de vallée; pourtant, il fait bientôt aussi chaud que la veille; d'impressionnants Banians ombragent les chautara, ces petits murets qui permettent aux porteurs de poser leur charge à hauteur de dos, mais cela ne suffit pas à rafraichir.

La suite du trek emprunte une gorge étroite couverte d'une végétation d'un vert profond; il faut dire que la pluie devient rapidement insistante et que l'on ne fait bientôt plus la différence entre les chemins inondés et les canaux d'irrigation des rizières, sans compter quelques sangsues qui pointent.

Ce n'est qu'à partir de Bagarchap que le paysage change: les conifères remplacent les bananiers, le cannabis jusque là omniprésent sur les chemins disparait. Les toits prennent la forme de terrasses et on peut ranger le parapluie sur le côté du sac.

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Braga, un village traditionnel resseré sur sa colline; © Michel Racine

A Pisang des chevaux paissent au bord d'un lac; le village (aujourdh'hui nommé Pisang haut ou Upper Pisang ou ancien Pisang), blotti autour de sa gompa, présente l'archétype du village tibétain tandis que trois superbes maisons récentes (en 1982), mais construites dans le style local, se regroupent plus près du chemin (elles constituent l'origine de Pisang bas ou Lower Pisang). C'est là que l'on passe la nuit, plus un logement chez l'habitant qu'un lodge: le soir venu on chasse les poules de l'immense pièce constituant le rez de chaussée et on déroule les duvets sur des tapis posés à même le sol, autour du foyer ouvert. En amont, Braga est un autre village exemplaire posé sur sa colline.
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Manang; © Michel Racine

Manang, avec ses toits terrases imbriqués les uns dans les autres est le village le plus important de la vallée. Le glacier du Gangapurna est visible sans s'élever beaucoup en rive droite.

Avec le couple de français rencontré au départ de ce trek, nous décidons de consacrer deux jours à une digression vers le lac de Tilicho. Nous avons un réchaud à kérosène et un double toit de tente et nous emportons chapatis, pommes de terre et tsampa. Après renseignements pris au village de Kangsar nous empruntons le chemin du bas; chemin est vite dit car de vagues traces sur les rives de la rivière permettent à peine de passer à sec; il faut se glisser à travers les arbustes et les pins, traverser ensuite des pentes dénudées et vertigineuses qui apparaissent comme des tobogans vers l'eau toute proche. Plus haut les pentes toujours minérales deviennent plus praticables, mais l'altitude se fait sentir. Récompense espérée, la crête atteinte, l'un des plus beaux paysages de haute montagne qui soit dans l'Himalaya se révèle.

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Le lac de Tilicho
© Michel Racine

Malgré la nuit passée en altitude à Tilicho (5 000 m) et une nuit de repos à Manang (3 600 m), la traversée du Thorong La avec une charge de 15 kilos n'est pas une petite affaire. Une minuscule bâtisse offre un refuge pour la nuit avant de passer le col. Du col, superbes vues sur l'Annapurna, sans pour autant être aussi impressionantes que le spectacle offert depuis Tilicho Tal. 2 000 m sont à descendre jusqu'à un lodge face à la dharamsala de Muktinath, en aval du temple.

Le tour des Annapurnas en 1982
La dharamsala de Muktinath héberge les pélerins de passage depuis le 19e siècle
© Michel Racine
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Le Dhaulagiri et le Tukuche Peak depuis Muktinath; © Michel Racine

Une deuxième nuit à Muktinath nous permet d'explorer les temples ainsi que les champs d'orge alentours où se déroule la moisson.

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En 1982 l'altiport de Jomosom se réduit à un champ de terre battu par les vents et peu fréquenté.
© Michel Racine
Plus bas, les paysages deviennent désertiques; dans un lodge de Kagbeni des affiches chinoises de propagande s'étalent sur les murs. La vallée de la Kali Gandaki qui se poursuit au nord exerce l'attirance des régions interdites d'autant que les paysages semblent fascinants (le Mustang ne sera ouvert aux étrangers qu'en 1992).

Jomosom déjà un peu bourgade administrative et entouré de camps militaires n'attire guère. Le terrain d'aviation, une plaine terreuse et une petite maison aux volets fermés portant un panneau "Royal Air Nepal Corporation" laisse sans voix: difficile de se remémorer les lieux tels qu'ils étaient à l'époque en les observant aujourd'hui. En continuant la descente on atteint Marpha, village propre et bien organisé: les facades de pierre peintes en blanc bordent une allée soigneusement pavée et un caniveau couvert. On trouve même des toilettes en aval du village (les seules visibles sur tout ce parcours à l'époque); plus au centre le Baba lodge (je n'ai pas inventé le nom et je crois que cet hébergement existe toujours) offre un confort que je n'avais pas connu depuis le départ. Ce village dynamique cultive aussi les pommes. Cet été 1982, des pylones annoncent l'arrivée prochaine de l'électricité.

Sous Marpha, on traverse d'autres villages intéressants: Khobang, Larjung, Tukuche. Kalopani offre des hébergements confortables.

Plus en aval le décor devient alpestre et on retrouve des gorges, mais plus riantes que celles de la Marsyangdi. A Tatopani, le pays tibétain n'est plus qu'un souvenir, les feux pour la cuisson reprenent leur place sur la terrasse devant la maison; bananiers et orangers réapparaissent.

C'est aussi à Tatopani que d'épuisantes envolées d'escaliers permettent d'abandonner la Kali Gandaki pour retrouver des forêts humides (et des sangsues); on ne peut qu'imaginer les rhododendrons en fleurs, au printemps. A Ghorepani, il ne faut pas manquer le panorama depuis Pun Hill et par chance le temps était bien dégagé.

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L'Annapurna 1, l'Annapurna sud, et le Macchapuchare depuis Poon Hill
© Michel Racine

L'itinéraire se poursuit par des successions d'escaliers montants ou descendants à travers de superbes cultures en terrasse; les villages bien nets sont dominés au loin par le Macchapuchare.

A l'arrivée, la traversée des faubourgs de Pokhara semble s'éterniser; heureusement les rives en partie intactes (à l'époque) du Pewa Tal réconcilient avec cette ville. Fatigué (j'ai perdu 5 kg durant ce trek, surtout à cause du manque de nourriture pendant sa première partie), mais conscient d'avoir vécu un périple extraordinaire par la variété des paysages traversés, et surtout par ses contacts humains.